Gestion des déchets et équité : les dangers de l'incinération

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À la suite des délibérations sur le nouveau Plan directeur des déchets solides de la Ville, qui ont eu lieu en juin, le Conseil municipal d'Ottawa se penche maintenant sur la façon de traiter les résidus de déchets, c'est-à-dire les déchets qui ne peuvent pas être recyclés ou compostés. À l'heure actuelle, la Ville s'occupe de ces résidus par l'intermédiaire du dépotoir du chemin Trail. Cette solution n'est pas parfaite, car les résidus laissés dans les décharges produisent des émissions, des produits chimiques potentiellement toxiques et d'autres formes de pollution dans l'environnement. En outre, les décharges disposent d'un espace limité - c'est pourquoi la Ville envisage une autre option pour l'élimination de ses résidus. Le Conseil municipal a demandé au personnel de la Ville d'étudier la possibilité de recourir à l'incinération, qui fait actuellement l'objet d'une étude de faisabilité. L'incinération n'est pas une bonne idée pour Ottawa, et ce, pour plusieurs raisons, notamment en raison de ses répercussions négatives sur l'économie, la santé et l'environnement. Un aspect qui mérite une attention particulière est celui des implications de l'incinération en matière d'équité environnementale, et de la façon dont l'incinération peut injustement percuter certaines personnes marginalisées de notre communauté par rapport à d'autres.

An aerial view of piles of colourful garbage, with a brown truck tipping out a fresh load

Image 1. Le dépotoir du chemin Trail à Ottawa (CBC, Michel Aspirot)

Pour plus de contexte, l'incinération est la combustion d'ordures, généralement de déchets solides municipaux. L'incinération produit des gaz à effet de serre qui contribuent au changement climatique et des toxines qui polluent l'air, l'eau et le sol. Ces polluants nuisent à la santé des êtres humains, des animaux sauvages et de l'environnement. Outre ces effets percutants, l'incinération est également la méthode d'élimination des déchets municipaux la plus coûteuse. Si les partisans de l'incinération mettent en avant sa capacité à produire de l'électricité, cette forme de production d'électricité est la deuxième plus coûteuse (l'énergie nucléaire arrivant en tête), extrêmement inefficace et produisant plus de gaz à effet de serre que le charbon.

The Durham-York Energy Centre opened in Courtice, Ont. in 2015, opening to further commercial operations in 2016. The energy-from-waste facility converts garbage into energy to be sold back to the provincial grid.

Image 2. Centre énergétique Durham-York (Barrie Today)

En plus de ces effets secondaires néfastes, l'endroit où Ottawa construirait cette installation d'incinération soulève d'énormes problèmes de justice sociale. En termes simples, vivre à proximité d'un site d'incinération est dangereux pour la santé et le bien-être de l'homme. Les installations se caractérisent par de grandes cheminées émettant des panaches de vapeur toxiques dans l'air, qui sont alimentées par des camions de déchets transportés chaque jour vers les sites d'incinération. Il n'est pas surprenant que les incinérateurs (comme les décharges) ne soient pas souvent situés dans des zones aisées ou des quartiers très touristiques. Ils ont tendance à être installés à la périphérie des villes, près des communautés qui ont le moins accès aux services sociaux essentiels. Aux États-Unis,8 incinérateurs sur 10 sont situés dans des communautés à faibles revenus ou des communautés de couleur (nous citons les statistiques des États-Unis car, selon un rapport de la CCDP, les statistiques canadiennes sur l'incinération sont sous-financées et ne font pas l'objet de recherches suffisantes). David Boyd, rapporteur spécial des Nations unies sur les droits de l'homme et l'environnement, explique que « le fardeau de la contamination pèse de manière disproportionnée sur [...] les communautés déjà en proie à la pauvreté, à la discrimination et à la marginalisation systémique »*.

 Incinerator

Image 3. Incinérateur de Clarington, Ontario (Alex Ballingall, Toronto Star).

Cette tendance à l'implantation de services polluants à proximité des communautés mal desservies est enracinée dans les injustices systémiques et le colonialisme, le revenu et l'emploi étant des déterminants sociaux clés de la santé et du bien-être. En d'autres termes, plus les revenus sont élevés et plus l'emploi est bon, plus l'accès au logement, à la nourriture et à d'autres services essentiels est important. Le fait de disposer d'un capital et d'une sécurité d'emploi signifie également que vous avez les ressources nécessaires pour déménager, par exemple, lorsque des problèmes apparaissent et que vous estimez que votre bien-être est menacé. Une étude menée par le Conseil national de la recherche des États-Unis en 2000 suggère que les personnes ayant les moyens financiers de s'éloigner des zones où les activités industrielles se développent peuvent le faire, tandis que les personnes moins privilégiées sur le plan économique sont contraintes de rester. Cela peut modifier les caractéristiques sociodémographiques de la communauté industrielle au fil du temps, entraînant une forte concentration de membres marginalisés de la communauté, qui sont plus susceptibles d'être racialisés et à faible revenu. Ces communautés disposent de moins de capital et de ressources pour résister aux injustices dont elles sont victimes, comme la planification d'un nouveau site d'incinération des déchets ou d'autres activités potentiellement nuisibles. 

Selon Ingrid Waldron, fondatrice de Environmental Noxiousness, Racial Inequities and Community Health (ENRICH), « il ne s'agit pas seulement de santé et de stress. Il s'agit aussi d'un manque de pouvoir, du fait que vous avez implanté certaines industries dans certaines communautés sans les consulter. Vous leur avez enlevé leur pouvoir, vous leur avez enlevé leur voix, et vous les avez placées dans des communautés qui sont non seulement racialisées, mais aussi pauvres »*.

Le Canada a une longue histoire de telles injustices à l'égard des communautés marginalisées et de mesures correctives inadéquates, en particulier à l'égard des communautés noires et autochtones. Shelburne, en Nouvelle-Écosse, en est un excellent exemple : la communauté à majorité noire a été empoisonnée par la décharge de Moran Road depuis les années 1940 jusqu'à sa fermeture en 2016. Aujourd'hui encore, la décharge et ses problèmes de santé toxiques subsistent sans qu'aucun plan d'assainissement adéquat n'ait été mis en place pour traiter les déchets. Ces déchets, qui comprenaient des déchets industriels, médicaux et ménagers, étaient régulièrement incendiés pour faire de la place à d'autres déchets. Des taux plus élevés de cancer, de maladies du foie et de troubles rénaux ont été observés dans la communauté voisine de la décharge, avec une odeur « écœurante » qui empeste l'air et des infestations de rats qui réduisent la qualité de vie des membres de la communauté.

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Figure 1. Carte des résidents de Shelburne décédés d'un cancer (NSA, 2017).

Malheureusement, Shelburne n'est pas la seule communauté marginalisée à souffrir de racisme environnemental en Nouvelle-Écosse. La cartographie réalisée par le projet Environmental Noxiousness, Racial Inequities and Community Health (ENRICH) illustre comment des dizaines de sites d'élimination des déchets sont situés à proximité de communautés majoritairement noires et autochtones en Nouvelle-Écosse. Un rapport de 2023 de la Commission canadienne des droits de l'homme illustre d'autres exemples, facteurs et impacts du racisme environnemental au Canada. Ces actes de racisme environnemental ont laissé des traumatismes générationnels aux communautés. Le rapport explique que le traumatisme physique du racisme environnemental se traduit par des taux accrus de maladies chroniques et d'empoisonnement du sang qui se transmettent aux générations futures. Les impacts psychologiques, par exemple une réaction traumatique à l'audition d'une sirène parce que dans leur communauté d'enfance, ce son était un avertissement de déversement de produits chimiques. Les experts de ce rapport concluent que « le Canada a normalisé un niveau de vie inférieur pour les communautés défavorisées sur le plan socio-économique et les communautés racialisées » (p.1)*.

Figure 2. Carte démontrant la proximité des installations de traitement des déchets et des communautés afro-néo-écossaises et mi'kmaq. (Carol Linnitt, The Narwhal). Pour plus de détails, voir la carte interactive d'ENRICH.

Un autre aspect du racisme environnemental se manifeste dans le processus de prise de décision concernant les installations de traitement des déchets. Les communautés marginalisées sont souvent exclues du processus décisionnel et subissent les conséquences de cette forme inadéquate de gestion des déchets. En outre, les Ottaviens ne sont pas étrangers au « NIMBYisme » (« pas dans mon jardin ») lorsqu'il s'agit de projets d'aménagement de la ville. En règle générale, les communautés les plus riches disposent des ressources nécessaires pour s'opposer aux installations de traitement des déchets et préserver la santé de leur quartier. La gestion locale des déchets est sujette au NIMBYisme, ce qui fait que les communautés à faibles ressources sont souvent incapables de s'opposer de manière adéquate aux décisions municipales.

L'utilisation de l'incinération comme « solution » à la gestion des déchets ne va pas aider Ottawa ou la planète à s'attaquer au problème central : la consommation. Jeff Leiper, conseiller d'Ottawa, l'a souligné dans une brève allocution prononcée devant le Conseil municipal en 2023 : « Nous consommons trop de choses dont nous n'avons pas besoin, et cela détruit la planète »*. L'incinération est une solution à court terme qui a des ramifications bien au-delà des écosystèmes naturels. Une action environnementale équitable consiste à trouver des solutions aux principaux problèmes environnementaux (de la réduction des émissions à la gestion des déchets, etc.) d'une manière qui ne désavantage pas injustement ceux qui souffrent déjà de manière disproportionnée des injustices de notre économie et de notre société. Le racisme environnemental est loin d'avoir disparu dans notre pays, mais le projet de loi fédéral C-226, la Loi sur le racisme environnemental, récemment adopté, constitue la première étape de la reconnaissance et de la lutte contre le racisme environnemental au niveau national.

Cela fait plus de 15 ans que la Ville préconise l'incinération comme « solution » pour les déchets, après que 12 conseillers ont voté contre en 2009, possiblement à la lumière de ce que l'on a appelé Plasco Fiasco . Les risques de l'incinération pour la santé et les écosystèmes sont plus clairs aujourd'hui qu'ils ne l'étaient à l'époque, alors pourquoi envisageons-nous de poursuivre un projet problématique similaire ? Ce n'est pas le moment pour la Ville d'Ottawa de prendre une décision à long terme qui irait directement à l'encontre des intentions de la loi nationale sur le racisme environnemental.

Faites savoir aux décideurs que nous voulons une gestion responsable des déchets pour le bien de notre environnement et de notre santé ! Contactez votre conseiller et le maire pour leur faire part de vos réflexions sur le plan de la Ville en matière de gestion et d'incinération des déchets solides. Pour en savoir plus, consultez ce billet de blogue que nous avons rédigé avec Waste Watch Ottawa et qui détaille nos suggestions pour améliorer la gestion des déchets.

*Traduction d'anglais


Vous avez encore des questions sur l'incinération ? Consultez nos questions-réponses ci-dessous.

Q : L'incinération n'apporte-t-elle pas des avantages économiques ?

R : L'incinération est la méthode d'élimination des déchets la plus coûteuse (Wirsig, 2024; Moon, 2021 ). Les services de réparation, de recyclage et de refabrication créent beaucoup plus d'emplois que l'incinération (Ribeiro-Broomhead, & Tangri, 2021). Arrêter les déchets à la source et les détourner est l'option la plus économiquement rationnelle.

Q : Mais l'incinération produit de l'électricité vendable ?

R : La production d'électricité par incinération est inefficace et constitue la méthode de production d'électricité la plus coûteuse après l'énergie nucléaire (Wirsig, 2024; Moon, 2021). Les incinérateurs ne produiront pas suffisamment d'électricité à vendre pour atténuer les coûts de fonctionnement.

Q : Si l'incinération est mauvaise, pourquoi ne pas développer les décharges ?

R : Les décharges créent de la pollution, drainent nos portefeuilles et contribuent encore au racisme environnemental dans un schéma similaire à celui des autres systèmes de gestion des déchets (Wirsig, 2024). Les décharges et l'incinération sont toutes deux nocives et la Ville doit plutôt concentrer ses efforts et son financement sur la réduction de la production de déchets grâce à des initiatives de réutilisation, à la promotion du compost, à la responsabilité des producteurs et à l'éducation au zéro déchet.

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